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Un petit monde de grandes lettres.
9 juillet 2012

En pleine modification

lamodification

Ah le Nouveau Roman, ce mouvement littéraire né dans le début des années 50 et représenté par de célèbres auteurs tels que Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute ou encore Claude Simon n'est plus vraiment à présenter. Enfin..

Pour résumer, le Nouveau Roman réinterroge le sens des mots, la place du narrateur et par là même celle du lecteur, l'invitant ainsi à  découvrir une nouvelle façon de lire et comprendre une oeuvre littéraire. Si la tâche ne semble pas aisée et que le concept même peut paraître obscur, rien ne vaut alors la lecture pour saisir la profondeur des textes proposés par les auteurs du Nouveau Roman. A cet égard La Modification de Michel Butor apparait comme un bon livre pour s'initier, au contraire de certains ouvrages de Claude Simon notamment qui peuvent se révêler comme autant de lectures difficiles et hermétiques pour un lecteur innocent.

"Vous avez demandé pour votre déjeuner, rue de Richelieu, dans un restaurant où vous aviez déjà eu plusieurs rendez-vous d'affaires, des spaghetti à la bolognese, mais ce qu'on vous a apporté méritait-il vraiment ce nom, ou bien était-ce la solitude dans laquelle vous vous êtes senti soudain en les mangeant qui vous a empêché de les goûter, de les apprécier selon leurs mérites véritables? Quant au café, alors qu'on vous avait assuré avec un sourire qu'il s'agissait d'express, on vous a apporté quelques minutes plus tard un filtre, un fort bon filtre c'est entendu, mais vous n'avez pas eu le courage d'attendre que la tasse soit pleine pour la boire en payant votre note. Si c'était pour vous nourrir ainsi, dans ces sentiments-là, était-ce vraiment la peine de ne pas rentrer chez vous, de compliquer, d'envenimer encore vos rapports avec Henriette par un inutile mensonge de plus?"

Toute l'originalité de La Modification est qu'à l'image des "Livres dont vous êtes le héros", Michel Butor s'adresse directement à la sensibilité du lecteur en utilisant le vouvoiement. L'histoire prend alors tout sa dimension, vous êtes dans un train pour Rome afin de retrouver votre maîtresse et d'échapper à une vie parisienne monotone en compagnie d'une épouse que vous n'aimez plus et qui semble vous détester un peu plus chaque jour. Le voyage se déroule au long des différentes pensées, entre projets de vie en commun avec Cécile, votre amour italien, considération sur votre vie et sur les personnages qui vous entourent dans la cabine du train...

Ce qui est assez déroutant dans cet ouvrage est la teinte de désespoir qui se laisse entrevoir au fil des pages. Ce narrateur, dont les pensées résonnent avec d'autant plus de force qu'elles sont les "votres", est partagé entre volonté de refaire sa vie et lucidité quant à l'échec prévisible de ce projet. L'utilisation du vouvoiement est alors très surprenante car il permet une lecture très profonde, entre observation des actions et pensées du narrateur et introspection plus personnelle. Qui n'a jamais rêvé de recommencer sa vie à zéro? Dans un sens l'auteur nous permet de tenter cette expérience à travers son livre, l'assurance fait alors place à la rêverie, puis au doute et finalement au désoeuvrement et à l'échec.

La quête pour le nouvel amour se transforme alors en pérégrination qui n'a plus de sens et qui laisse le narrateur et le lecteur exsangue. L'arrivée à Rome se fait alors confuse et les souvenirs rassurants du début de voyage, des ballades romaines en compagnie de votre bien-aimée s'effacent pour ne laisser qu'une seule impression, celle d'être perdu.

La lecture de ce roman est parfois confuse, le narrateur oscillant au long du trajet entre veille et rêverie, il convient de prendre alors un peu de recul et d'analyser les sensations ressenties afin de comprendre le message transmis par l'auteur. Ainsi un long rêve s'offre à nous, où l'ont devient une sorte de Robinson Crusoé complètement perdu au fond d'un gouffre essayant desespéremment de remonter à la surface et d'atteindre la lumière... L'expérience est très enrichissante et l'on se plait à jouer le rôle du narrateur qui tente d'imaginer les différentes vies des voyageurs assis à côté de lui, on partage également ses peines et désillusions quant à l'échec de son mariage, ravivées à la vue d'un couple en voyage de noces. En somme Michel Butor nous propose une expérience de vie et il convient alors de jouer le jeu du Nouveau Roman afin de saisir cette opportunité.

"Il monte, il se laisse mener; le bruit des vagues s'amoindrit; une rumeur de temps en temps l'assaille par boufées, comme une grande masse de respirations; il sait qu'il longe un mur de briques et que voici maintenant la porte Majeure mais sans tramways, sans chemin de fer, ouvriers, ni foule, sans aucun mouvement dans la lueur diffuse, devant laquelle sur une chaise curule, est assis quelqu'un nettement plus grand qu'un homme, avec non point un seul mais deux visages, celui tournée vers le malheureux se plissant dans un rire en lui criant : " Tu ne pourras plus jamais revenir." "

La Modification - Michel Butor

Editions de Minuit 7,50€ http://www.amazon.fr/La-modification-Michel-Butor/dp/2707303127

 

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