Gravity, est-ce bien du cinéma?
A la lecture de ce titre, j’entends déjà les fans de blockbusters me traiter de réac’ ou les puristes du septième art me regarder avec concupiscence. Pour autant j’aimerais à travers cet article essayer tout d’abord de mettre entre parenthèse mes goûts personnels afin d’adopter un certain point de vu objectif (état d’esprit dans lequel j’ai dû nécessairement me mettre pour voir Pacific Rim il y a quelques mois et bien évidemment Gravity sinon… Je n’y aurais pas été tout simplement) et de relever quelques points qui a mon sens peuvent réellement poser la question de savoir si Gravity est bel et bien du cinéma. Ou autre chose, mais quoi ?
La première démarche à suivre est de comprendre ce qui est habituellement désigné par le mot de « cinéma ».
Le Larousse nous donne plusieurs définitions du cinéma en tant que réalisation : « Art de composer et de réaliser des films cinématographiques » ; « Procédé permettant de procurer l'illusion du mouvement par la projection, à cadence suffisamment élevée, de vues fixes enregistrées en continuité sur un film. ». Pour donner une définition sèche, le mot cinéma provient de cinématographe en grec kinêma « mouvement » et graphein « écrire ». Le cinéma serait donc l’art de mettre en scène des « écritures en mouvement ». Ecritures, symboles, images pour faire simple le cinéma c’est la mise en mouvement d’images sur un écran. Suivant cette définition Gravity est bien du cinéma pour le moment.
Si le cinéma vise à montrer des images en mouvement sur un écran, quel est son intérêt ?
Vaste questionnement que celui-ci. A l’origine destiné aux classes populaires le « septième art » était essentiellement produit pour divertir, les intellectuels se détournant de ce « produit de masse » qui semblait si éloigné des attentes et envies d’esthètes. Malgré tout au fil du temps, le cinéma donna l’impression de se diviser en deux branches, l’une axée sur le divertissement et l’autre sur la réflexion. Bien évidemment les deux pouvant de temps à autres s’entrecroiser avec brio. S’il existe de multiples formes de réflexions, il y en a tout autant de divertissement. On peut aller au cinéma pour s’interroger sur le sens de la vie, découvrir des horizons de pensées différentes, tout comme pour simplement rire, avoir peur… A l’aune de cette réflexion que nous propose Gravity ? Je n’ai personnellement pas d’avis à émettre sur une quelconque réflexion provoquée par ce film hormis peut-être « Se retrouver tout seul dans l’espace ça doit faire très peur » en même temps, se retrouver tout seul sur Terre ne doit pas être très rassurant non plus. Alors Gravity serait plutôt un film de divertissement, j’ai bien pu expérimenter une pointe d’angoisse à quelques moments du film, ou encore de fascination devant les plans découvrant notre planète bleue depuis l’espace.
D’accord Gravity serait donc bien du cinéma de divertissement, ce qui vient déjà remettre en question les avis des critiques le désignant comme « Un film unique dans l’Histoire du cinéma ». Des films de divertissement, il y en a plein et gageons qu’il s’en fera des milliers dans le futur. Mais jouons le jeu, qu’est ce qui pourrait bien définir Gravity comme le meilleur film de divertissement de tous les temps ?
Certainement pas le prix du billet tout d’abord. Cet argument est peut-être fallacieux mais en réalité si l’on poursuit la réflexion sur le cinéma de divertissement en tant que cinéma populaire il tient la route. Il faut dire qu’avec au minimum un billet d’entrée à 10€, l’heure et demi de voyage 3D dans l’espace revient chère, mais certaines personnes dépensent bien des millions pour s’y envoler réellement donc bon… Certes ce tarif n’est pas unique à Gravity, c’est le cout d’accès à la 3D, les lunettes, tout le matériel de projections que sais-je encore, mais tout de même. Dépassons les considérations monétaires pour s’attacher aux acteurs qui peuvent être par leur unique présence, une raison d’aller voir un film. Déception à nouveau car si Sandra Bullock et George Clooney font figures de monstres du cinéma, leur prestation est complètement effacée. Hormis peut-être celle de Bullock dans les derniers moments du film. Mais concrètement le docteur Ryan Stone aurait pu être incarné par Arielle Dombasle et Matt Kowalsky par Christian Clavier que cela n’aurait pas changé grand-chose. A ce moment-là, le porte-monnaie bien vide face à deux astronautes lambda en situation d’errance spatiale, le divertissement penne à prendre de l’ampleur. Parfois, il peut provenir du script, des échanges entre acteurs, en somme la trame de fond du film. Là encore, ce n’est pas où se trouve l’originalité de Gravity, il y a bien quelques répliques senties et des échanges presque burlesques mais l’histoire d’une mère ayant perdu son enfant plongée dans le doute de pouvoir surmonter cette épreuve c’est clairement du réchauffé, même si celle-ci se trouve en orbite dans l’espace.
Kézako du divertissement?
C’est là au choix que le bas-blesse ou séduit. Tout tient dans l’image, une image testostéronnée à la 3D. Pour peu que l’on soit apte à percevoir la 3D (navré pour nos amis dotés de strabisme) et que l’on soit placé plutôt au centre de la salle, l’immersion dans l’espace peut séduire et incarner le motif principal d’intérêt du film. Les longs plans dans l’espace qui constituent pour le spectateur une forme d’expédition en apesanteur sont sympathiques et assurent en effet le spectacle. D’un point de vu critique, la question de savoir si la projection ne devrait pas avoir lieu dans un simulateur de vol plutôt que dans une salle cinéma peut se poser. Fondamentalement Gravity joue avec nos sensations premières pour nous divertir.
Voilà, Gravity c’est du cinéma de divertissement ou du cinéma « à sensation ». Mais vous saviez d’ores et déjà que ce film était un blockbuster et finalement vous n’aviez pas besoin de lire cet article pour le savoir ? Malgré tout, à la lecture des critiques et des différents avis entendus, le sentiment de vouloir faire passer ce film pour autre chose que du cinéma à sensation se laisse percevoir. Comme si le film de demain était nécessairement un film en 3D qui ne viendrait toucher que nos cinq sens et faire du spectacle pour du spectacle. Que l’on soit amateur ou non du genre, il est important d’être lucide sur ce que l’on va voir. Vous n’aimez pas manger du cheval à la place du bœuf alors vous n’aimerez certainement pas que l’on vous serve un film à sensation qui lorsque la 3D aura pris son envol fera pâle figure comme le chef d’œuvre ultime du cinéma. Que les cinéphiles se réjouissent Gravity c’est bien du cinéma, mais du cinéma de divertissement à prendre en tant que tel, c’est-à-dire que l’on peut louper sans regret malgré tout ce tollé médiatique.